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Le retour de l’économie de troc, ou échange d’œufs contre papier-toilette
Par Olga Kharif, 31 mars 2020
Depuis début mars, on s’est mis à voir des tables pliantes sans aucune surveillance apparaître aux carrefours et devant les entrées des maisons, offrant des marchandises de base comme du riz, un pot de confiture ou du pain. Sur des pancartes, on peut lire « prenez ce qu’il vous faut et laissez ce que vous pouvez ».
Le troc, ce système d’échange largement répandu au Moyen Âge, est de retour au temps de la pandémie du coronavirus, avec une petite touche contemporaine.
Les réseaux sociaux Facebook et Nextdoor sont envahis de posts de voisins et d’amis cherchant à échanger des oeufs contre du papier-toilette. Des petites et moyennes entreprises, dont les rentrées en espèces ont périclité à cause des retombées économiques du confinement obligatoire, se tournent vers le troc en ligne.
« Quand on manque de liquidités, on a tout intérêt à troquer autant qu’on peut », dit David Yusen, directeur du développement commercial du groupe Heavy Restaurant basé à Seattle, qui a récemment négocié 56 caisses de vin de Malbec pour une valeur de $15 000 en unités de troc. Les dix restaurants de l’entreprise ont été fermés, mais certains d’entre eux commenceront à proposer des services de retrait et de livraison dès cette semaine. « Ca évite trop de manque à gagner et ça aide la trésorerie. »
En temps normal, les quelque 200 réseaux de trocs qui opèrent aux Etats-Unis laissent faire les blanchisseurs d’argent qui se font payer en plats à emporter ou en services comptables. Avec les dizaines de millions d’Américains en confinement, ces systèmes commerciaux sans argent voient un afflux massif de participants.
L’association internationale d’échanges réciproques représente cent réseaux de troc, chacun répondant aux besoins de milliers d’entreprises. Certains réseaux ont signalé une augmentation de 20 à 35% des participants en mars, a déclaré Ron Whitney, président directeur général du groupe IRTA (International Reciprocal Trade Association).
« C’est une période difficile, mais il s’agit également d’une chance pour nous, » a dit M. Whitney. L’IRTA estime que les transactions sous forme de troc représentent entre 12 milliards et 14 milliards de dollars par an.
Roger Baker possède plusieurs entreprises de construction et de rénovation de maisons à Puyallup, état de Washington, l’état où s’est produit le premier épisode de l’épidémie aux USA. Il prévoit une diminution d’au moins 30% du chiffre d’affaire cette année et s’est inscrit en février au système de troc BizX.
“ Je n’aurais jamais pensé ça il y a seulement deux mois,” dit Becker. « Ca va changer la donne parce que nous commençons tous à craindre que les gens resserrent les cordons de la bourse. »
Voici comment ça marche: Becker a récemment versé $260 000 pour rénover une maison de 370 m2 à Leavenworth estimée à 1,2 million de dollars. Il est disposé à accepter une partie du prix de la maison en « dollars BizX », comme on les appelle, afin d’utiliser ces unités de troc pour acheter des services à d’autres membres du réseau – des plombiers, des électriciens ou des pépiniéristes afin de pouvoir construire et rénover d’autres maisons.
D’après BizX, basé à Bellevue dans l’état de Washington, la fréquentation de son site internet a augmenté de 30%, rien que ces quelques derniers jours. Chez International Monetary Systems dans la région de Milwaukee, la fréquentation a doublé ces deux dernières semaines, par rapport à tout un mois normal. A Pittsburgh, Green Apple Barter a vu une hausse de 20% du nombre de ses adhésions en mars, d’après son président Justin Krane.
« C’est comme une cour de matériaux avec des marchandises en attente » dit Krane. « Ils ont demandé si on pouvait écouler les stocks. Un hôtel vient juste de s’engager – leur taux d’occupation est durement touché en ce moment. Rejoindre un réseau va leur donner un autre moyen de remplir leurs chambres d’hôtel. »
Le troc entre les consommateurs s’intensifie aussi après que les gondoles des supermarchés aient été vidées et les denrées stockées dans les maisons. Pour l’instant, on considère encore cela comme une blague. Un sondage sur Twitter demandait combien un rouleau de papier toilette valait de canettes de bière (la réponse la plus courante était 2 ou 3 canettes).
Blague à part, le troc d’articles ménagers et de nourriture pourrait au moins doubler cette année aux USA, passer de 4 millions de dollars à plus de 10 millions, selon Richard Crone, PDG de Crone Consulting LLC, experts financiers.
Le troc est devenu particulièrement populaire auprès des gens qui ont le plus grand risque d’attraper les formes les plus contagieuses du coronavirus et veulent éviter les magasins.
Chell Garvin, 50 ans, de Springfiels dans le Missouri a vu sur Facebook un post d’une amie qui disait avoir remporté un paquet de 18 rouleaux de papier-toilette. Garvin l’a contactée et lui a échangé un carton de 18 œufs contre deux rouleaux doubles. « Elle fait beaucoup de cuisine et elle a dit qu’elle ne trouvait d’œufs nulle part », a dit Garvin.
Allie Walker-Lavette, une femme de 55 ans vivant à Jacksonvlle en Floride, a récemment reçu une livraison d’œufs – un article que sa fille avait cherché en vain. Mme Walker-Lavette en a échangé une boite contre une commande de margaritas à emporter dans un restaurant local. « Si la pénurie des approvisionnements continue, j’ai quelques voisins proches à qui je peux aller demander ce qu’ils ont dans leur frigo » dit-elle.
Les grandes enseignes disent que les pénuries d’articles comme le papier-toilette ne sont que temporaires. Pourtant, les experts de Crone prévoient que les pénuries pourraient éventuellement encourager de nouvelles appli d’échanges et de marchés en ligne.
« Il y a de la demande pour des produits qui ne sont pas en magasin mais dans le cellier, le garage ou le deuxième congélateur de quelqu’un », dit Crone. « Ce qu’Uber a fait pour le transport avec la capacité inutilisée des voitures, on peut le faire pour l’approvisionnement des denrées emballées. C’est une chaine d’approvisionnement entièrement nouvelle. »
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